mercredi 28 septembre 2016

Contrôle au faciès : « La cassation a une autorité jurisprudentielle sur les autres cours »

La 1ère chambre civile de la cour de cassation examine le 4 octobre prochain les pourvois de l'Etat et des plaignants, suite à la condamnation en appel de l'Etat dans 5 des 13 dossiers instruits pour contrôles d'identité discriminatoires. Mathilde Zylberberg, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature, revient sur la portée de cette action et sur ce qu'elle en attend.



Qu'est-ce que la cour de cassation ?

Mathilde Zylberberg : La cour de cassation juge le droit et non le fait. Elle vérifie si dans leurs décisions les tribunaux de première instance et les de cours d'appel ont appliqué correctement le droit. 

Elle est au-dessus des autres cours, c'est-à-dire qu'elle peut casser ou rejeter les pourvois contre les arrêts des autres cours. Mais contrairement à d'autres systèmes, il n'existe pas d'arrêt de règlement. 

Il n'y a donc pas d'obligation pour les juges, dits du fond (de première instance ou d’appel, ndlr), de s'aligner sur la jurisprudence de la cours de cassation. S'il peut y avoir des arrêts de rébellion de la part des autres cours, la cassation a cependant une autorité jurisprudentielle. En général les juges du fond s'alignent sur cette jurisprudence.


Que signifierait un rejet du pourvoi de l'Etat par la cour de cassation ?

Mathilde Zylberberg : Cela signifierait que les arrêts de la cour d'appel attaqués par l'Etat seront appliqués et que l'Etat sera définitivement condamné. 

Les victimes de contrôles d'identité discriminatoires pourront alors invoquer cette jurisprudence condamnant l'Etat selon une motivation validée par la cour de cassation. 

Il demeurera toutefois un problème de preuve dans les actions intentées en justice et il faudra prouver, dans les faits, la discrimination. 

Mais il reste que l'aménagement de la charge de la preuve effectué par la cour d'appel pourra être utilisé de façon sécurisée, parce que sans risque d'être cassé par la cour de cassation.


Si l'Etat perd, a-t-il un ultime recours pour invalider les décisions de la cour d'appel ?

Mathilde Zylberberg : L’instance sera terminée. Il pourra invoquer dans les procédures à venir de nouveaux arguments de droit et de fait pour contrer cette jurisprudence


Et si l'Etat gagne en cassation ?

Mathilde Zylberberg : Même si la cour de cassation ne suit pas la cour d'appel, les juridictions de fond pourront, là aussi, se rebeller, ce qui pourrait d’ailleurs conduire à un revirement de jurisprudence de la cour de cassation. 

En tout cas, rien n'empêchera d'autres citoyens de saisir les tribunaux sur ces questions.


Un rejet de l'Etat en cassation serait-il une décision de justice historique ?

Mathilde Zylberberg : Ce serait une jurisprudence importante. Il y a un certain nombre de domaines où la jurisprudence a précédé la réforme législative. 

Ce sera ici un signe clair qu'il est désormais temps de passer à l'acte et donc de réformer le cadre légal du contrôle d'identité et d'imposer l'obligation de délivrer un récépissé à l'issue de chaque contrôle opéré. 

En ce sens, ça sera historique, mais ça ne sera malheureusement pas suffisant.


Vous parlez de la réforme de l'article 78-2 du code de procédure pénal. Qu'attendez-vous exactement en matière de réforme ?

Mathilde Zylberberg : Aujourd'hui le contrôle au faciès est rendu possible par le fondement légal. Celui-ci est défini de manière trop généraliste. 

Le premier alinéa de l'article 78-2 fixe un cadre admissible, dirons-nous, car plus contraignant, au contrôle d'identité : le contrôle doit en lien direct avec la commission ou la préparation d'une infraction. 

Les autres cas de contrôle n’imposent pas de réunir préalablement des raisons objectives et individualisées au contrôle. Donc les raisons pour lesquelles le policier ou le gendarme va procéder au contrôle d'identité ne peuvent être que subjectives. 

Il y a dès lors un risque de discrimination et donc de contrôle au faciès. Ce que nous disons c'est qu'il faut supprimer tous les cas où il n'y a pas de raisons objectives et individualisée, en lien avec la commission ou la préparation d’une infraction déterminée, de contrôler une personne.


Pour vous la loi est trop floue ?

Mathilde Zylberberg : Oui. Vous avez par exemple la possibilité à l'alinéa 3* de contrôler toute personne, quel que soit son comportement, pour prévenir une atteinte à l’ordre public. 

Mais qu’est ce qu’une atteinte à l’ordre public ? C’est un concept très flou et fourre-tout. Cela veut dire les forces de l’ordre peuvent contrôler n’importe qui, sans avoir à justifier d’élément objectif.


Vous souhaitez que l’article 78.2 soit modifié mais aussi l’obligation de remise d’un récépissé en cas de contrôle. Pourquoi ?

Mathilde Zylberberg : Nous espérons, en effet, que le rejet du pourvoi de l’Etat conduise le législateur à modifier l’article 78.2 et aussi à exiger la remise d’un récépissé.  

C’est indispensable en matière de preuve, pour celui qui le subit et mais aussi pour objectiver le contrôle Comment démontrer qu'on a été contrôlé 4 ou 5 fois s'il n'y a aucun élément permettant de le prouver ? 

L’appel à introduire un tel dispositif est d’ailleurs implicite dans la décision de la Cour d’appel de Paris.


Peut-on d’ailleurs à ce propos parler de « contrôle d’identité » quand des mêmes policiers contrôlent une même personne plusieurs par jour ou par mois ?

Mathilde Zylberberg : Les gens qui sont victimes de contrôle au faciès vous le disent : les policiers les interpellent par leur prénom pour procéder au contrôle d’identité. 

Quand vous êtes contrôlés 3 ou 4 fois par jour, les policiers du quartier savent exactement qui vous êtes. Ça n’est pas un contrôle d’identité. Et c’est ça qui est très dur à vivre pour les personnes concernées.


Dans un contexte actuel d’état d’urgence, le contrôle au faciès est-il toujours une question de premier plan ?

Mathilde Zylberberg : Je dirais encore plus. Le contrôle d’identité discriminatoire appartient à une catégorie de procédures à risques discriminatoires. 

Et justement, avec la loi sur l’état d’urgence et les différentes lois qui sont prises dans ce contexte, les procédures à risque discriminatoires prennent de plus en plus de place. 

C’est-à-dire les procédures où les définitions sont floues, imprécises et qui permettent, en l’absence d’éléments objectifs, d’attenter aux libertés de nos concitoyens. 

Les possibilités de contrôle d’identité et de fouilles ont d’ailleurs été étendues sous l’état d’urgence, en confiant aux préfets le pouvoir de déterminer que, pendant une durée de 24 heures, sur un territoire qu’il définit, toute personne pourra être contrôlée et fouillée, sans nécessité d’objectiver le motif du contrôle.




*« L'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ».




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