vendredi 20 février 2015

Questions - Réponses sur l'audience relative aux contrôles d'identité au faciès en France


QUE SE PASSE-T-IL ?

Treize jeunes Français originaires d'Afrique du Nord ou d'Afrique subsaharienne avancent qu'ils ont fait, chacun de leur côté, l'objet de contrôles d'identité par la police, accompagnés dans certains cas de palpations, du fait de leur couleur de peau, et que de telles pratiques sont illégales au regard des lois françaises et européennes. L'ensemble de ces contrôles ont eu lieu alors que ces jeunes hommes menaient des activités ordinaires, routinières : marcher dans la rue, s'asseoir à la terrasse d'un restaurant ou sur le perron de leur domicile, faire des courses, ou encore converser avec des amis en centre-ville. Aucun des contrôles n'a débouché sur quelque sanction que ce soit. Le Tribunal de première instance de Paris a rejeté leur plainte en octobre dernier ; ils font à présent appel de cette décision.


POURQUOI LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS A-T-IL REJETÉ LE RECOURS ?


L’Etat n'a nullement contesté la réalité des faits présentés par chacun des individus quant à ce qui leur est arrivé. Il a préféré argumenter, et le tribunal l'a suivi dans ce raisonnement, que les plaignants n'ont pas été capables de démontrer que ces incidents constituaient une discrimination délibérée de la part de la police. Dans l'élaboration de sa décision, le tribunal a donc placé une charge de la preuve particulièrement lourde sur les seules épaules des plaignants, sans exiger de l’État qu'il explique ou justifie que ces contrôles étaient fondés sur d'autres critères que la couleur de peau des individus concernés ou leur origine ethnique présumée. Le tribunal a également émis l'opinion qu'il n'était pas de son ressort de s'assurer que les réglementations régissant les contrôles policiers (article 78-2 du Code de procédure pénale) comprennent des garanties procédurales suffisantes pour une mise en œuvre de ces contrôles dans le respect des droits fondamentaux.


SUR QUELLE BASE SE FONDE L'APPEL ?



Les appelants avancent, entre autres, que le jugement du tribunal de grande instance de Paris entre en conflit avec le droit européen sur la non-discrimination, qui place sur l’État, plutôt que sur la victime, la charge de prouver qu'aucune discrimination n'a pris place. Ils soulignent que le tribunal a choisi d'ignorer un principe juridique fondamental, celui de la supériorité du droit international, européen et constitutionnel sur le droit administratif, en l’occurrence le Code de l'organisation judiciaire, sur lequel le tribunal s'est appuyé dans son jugement.


POURQUOI LE DÉFENSEUR DES DROITS, LE MÉDIATEUR POUR LES QUESTIONS RELATIVES AUX DROITS DE L'HOMME EN FRANCE, SE JOINT-IL A PRÉSENT A LA PROCÉDURE ?


Invité par les appelants à intervenir dans la procédure, le Défenseur des droits a émis une décision qui appuie leurs arguments. Il y souligne que les Etats n'ont pas seulement l'obligation de ne pas discriminer, mais doivent également prendre des mesures concrètes pour prévenir les discriminations et y mettre un terme. Il insiste également sur le fait que l'absence d'enregistrement des contrôles, sous quelque forme que ce soit, empêche les personnes contrôlées de contester la légalité de ces actes policière.


POURQUOI PORTER CETTE AFFAIRE DEVANT LES TRIBUNAUX ?



Cette procédure, la première du genre, s'attaque à une pratique répandue, grave et bien documentée, qui touche à un large éventail de droits fondamentaux, y compris la liberté de mouvement, le droit de ne pas subir de discrimination ni d'être exposé à des détentions arbitraires, et le droit au respect de la vie privée. Les contrôles policiers discriminatoires qui isolent et ciblent les personnes sur la base de leur couleur de peau ou origine supposée sont injustes et humiliants pour les individus qu'ils affectent, et donnent lieu chez eux à un sentiment généralisé d'être traités comme des citoyens de second rang. Ils représentent également une menace pour la cohésion sociale au sens large, un gaspillage des ressources et une perte de temps pour la police. Ils sont en effet contre-productifs : lorsque le public perçoit les pratiques policières comme injustes, cela crée un manque de confiance envers la police qui nuit à l'efficacité de celle-ci en réduisant les niveaux de coopération des populations avec la police, et en rendant ces dernières moins désireuses de signaler des délits ou des activités suspectes.


L'action en justice s'inscrit en parallèle d'un vaste effort, toujours en cours, pour convaincre le gouvernement du président François Hollande de tenir sa promesse électorale de s'attaquer au problème des contrôles d’identité discriminatoires. De façon séparée, une procédure est en cours contestant également les règlements entourant les contrôles (art 78 § 2 CCP) devant le Conseil d’État, la plus haute cour administrative en France.


QUI PRÉSENTE LE RECOURS ?



Les treize appelants sont représentés par maîtres Slim Ben Achour et Félix de Belloy, avocats inscrits au barreau de Paris. Une coalition d'organisations du terrain, ainsi que le Syndicat des Avocats de France, ont également apporté leur soutien à la procédure.


QUEL EST LE RÔLE DE L'OPEN SOCIETY JUSTICE INITIATIVE ?


La Justice Initiative travaille depuis plus de dix ans avec les forces de police et les groupes minoritaires à travers l'Europe pour trouver comment mettre un terme aux pratiques de profilage ethnique, comme les « contrôles au faciès », notamment en améliorant la collecte de données, la supervision et la formation. En France, la Justice Initiative a soutenu la présente procédure, au travers notamment d'une assistance technique, ainsi que d'activités de plaidoyer et de sensibilisation.

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